Les Miura, la légende noire

Les amateurs de corrida éprouvent toujours une sensation particulière à l’évocation du nom de cet élevage dont l’ancienneté de présentation aux arènes de Madrid remonte à 1849. Si la plupart des taureaux présentés en corrida sont issus de divers croisements réalisés au fil des sélections, mais aussi des changements de propriétaires des élevages, les taureaux de Miuras sont issus d’une encaste ( une branche spécifique de la race des taureaux de combat) originelle, dont les origines remontent probablement à une sélection opérée dans les terres d’un monastère d’Andalousie.

La présentation des taureau de Miura est toujours particulière. Ils sont tout simplement plus grands, plus haut, plus longs, et plus armés que leurs congénères. Sur la balance les Miura accusent en général 100 à 150 kg, voire plus que les autres spécimens qui sont présentés en corrida.

Mais c’est leur comportement qui est sensiblement différent. Lorsqu’un taureau de Miura entre en piste, dans ce couloir (callejon) où se réunissent les professionnels, le silence s’installe. Car qu’avec ce type de taureaux tout peut arriver. Malgré leur masse ils peuvent se révéler très mobiles, et parfois sauter dans la contre piste, ce qui déclenche évidemment la panique que l’on peut imaginer.

Face au cheval, lorsqu’ils s’engagent face au picador, les murs ont souvent tendance à rechercher les parties hautes du groupe équestre, et beaucoup de biterrois se souviennent de séances de piques mémorables, ou les chevaux et le picador ont été mis en difficulté, même si les chevaux sont protégés par un caparaçon, ce qui leur évite de très graves blessures.

Face au torero, le comportement du Miura est également très différent. Ces taureaux de tous les superlatifs sont aussi considérés comme plus « intelligents », que tous les autres. Malgré leur taille et leur longueur, il se retournent, comme des chats, après la passe. Pour le matador, il n’y a pas de place à l’improvisation. La muleta doit être présentée avec la plus grande rigueur, et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, un torero qui chercherait à prendre ses distances face aux cornes, se mettrait en danger. En effet, la vision périphérique du taureau lui permettrait de comprendre que l’adversaire ne se situe pas dans la muleta qui lui est proposée, mais dans la silhouette immobile qui se trouve à côté. On imagine évidemment la suite.

Si l’on parle de légende noire à propos des Miura, c’est que leur histoire a été jalonnée par de très nombreux accidents et blessures, dont la mort en piste, en 1947, de Manolete, le torero du siècle.

Un des six redoutables adversaires que Rafaellillo et Juan Bautista vont devoir affronter. Cette robe grise, cette tête large, et ces cornes largement déployées, sont la caractéristique des pensionnaires de la ganaderia de Zahariche.

Le public d’une Miurada, puisque même l’élevage donne son nom au spectacle, est à la recherche de sensations fortes. Il s’agit véritablement d’un combat, et Stéphane Fernandez Méca, un torero français qui les a souvent combattus parlait tout simplement lorsqu’il rentrait en piste « de faire la guerre ».

Le public doit avoir conscience que les toreros ne pourront pas, sauf exception rarissime, se livrer à un toreo artistique. Mais cela donne encore plus de valeur à ce spectacle. Parvenir, par son courage d’abord, par sa science et son pouvoir a peser sur le taureau pour le guider dans ses trajectoires, est en soi une performance. Celle-ci offre au public des sensations à nulles autre pareilles.

Il faut aller voir une corrida de corrida de Miura, car il s’agit sans doute de la tauromachie la plus authentique, celle dont l’origine remonte au fond des âges, le combat de l’homme face à la nature sauvage. Et parfois, dans ce combat, comme à plusieurs reprises dans la longue histoire des présentations de cet élevage dans les arènes de Béziers, il peut y avoir des moments magiques. C’était le cas l’an dernier, avec le triomphateur de l’édition 2016 de la feria, Rafaelillo, sorti en triomphe face à ces taureaux. Il sera évidemment présent pour ce 15 août, accompagné pour un mano à mano, (deux toreros au lieu de trois), par Jean-Baptiste Jalabert, Juan Bautista. Ce torero arlésien a toujours été présent dans les grands moments. Rigoureux, fondamentalement honnête et très respectueux de son public, il est très apprécié par les biterrois, plus qu’en Arles parfois diraient certains esprits taquins. Et a la particularité, tout comme son partenaire Rafaellillo de ne jamais reculer devant ses adversaires.

Au-delà du mérite, et du courage des hommes, (car tous les toreros n’affrontent pas les Miura), la qualité du spectacle dépendra, comme toujours, et cela s’est vérifié le 14 août, du comportement des taureaux, et de ce point de vue, rien n’est jamais certain.

L’alchimie d’une corrida repose certes sur les éléments que l’on met en présence, les taureaux et les toreros. Pour la transmutation, il n’y a pas de pierre philosophale qui marche à tous les coups, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de la tauromachie, qui va au-delà du spectacle, car cette proximité avec le danger interpelle tout un chacun. Dans un monde aseptisé, ou dans nos pays développés, on recherche le risque zéro, la tauromachie nous rappelle à tous, à notre condition de mortels. Le sacrifice du taureau en piste, cet animal symbole de force brute, opposée à la diligence de l’homme, nous interpelle toujours quelque part.

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Bruno Modica

Bruno Modica est agrégé d'Histoire enseignant au lycée Henri IV de Béziers. Passionné de corridas, il intervient souvent aux arènes en tant que photographe taurin et fait profiter Béziers-Infos de sa vaste culture sur le sujet.