Deuxième corrida de la feria de Béziers - En première classe !

Une corrida repose sur la rencontre de taureaux et de toreros dont l’engagement dans ce qui relève à la fois du combat et de l’art permet au public d’éprouver des sensations esthétiques uniques. C’est dire l’importance, pour l’organisateur du spectacle, de choisir les acteurs les plus à même de s’adapter aux taureaux qui seront présentés en piste.

L’équipe de Robert Margé a mit la barre très haut pour cette deuxième corrida de la feria en réunissant trois matadors particulièrement en vue, face à un élevage de grande origine, dont les spécimens sont particulièrement adaptés au type de tauromachie pratiquée par Enrique Ponce, Alexandre Talavante et Andres Roca Rey.

Les taureaux de Garcia Jimenez, d’origine Juan Pedro Domecq, se sont révélés, lors des dernières temporadas, comme d’excellents partenaires, permettant aux toreros de s’exprimer pleinement. Bien présentés, ils sont habituellement aptes à suivre la muleta et se révèlent bien adaptés au type de tauromachie pratiquée par les trois maestros.

Le premier d’entre eux, Enrique Ponce est resté au sommet depuis un quart de siècle, son alternative date de 1990, et reste une référence incontournable de toutes les grandes férias. Comme torero le plus ancien de ce cartel, il sera le chef de lidia, celui sur lequel repose finalement la bonne coopération de tous les acteurs du spectacle. Paradoxalement, ce qui est la marque d’un grand torero, c’est la facilité, seulement apparente, avec laquelle il se présente devant ses adversaires. Cette aisance est liée à une maîtrise exceptionnelle de ce que l’on appelle « les terrains », (en espagnol on dirait le sitio), qui permet au torero de déclencher la charge de son adversaire et de lui imposer les trajectoires qui lui permettent de littéralement « construire » son toreo. Enrique Ponce, séduit aussi par sa très grande lucidité, et par sa capacité à véritablement tirer le meilleur de ses adversaires. En ayant gracié trois taureaux en 2016,  il a montré qu’il restait au sens littéral du terme « le maître ». Car si un taureau peut sortir vivant des arènes, cela signifie que le torero a pu révéler tout le potentiel de l’animal, et permet ainsi à l’éleveur de le conserver éventuellement comme reproducteur.

Toute la maîtrise du professeur Ponce dans ce redondo où le taureau subit cette passe circulaire qui le contraint à suivre la muleta

 

Alejandro Talavante qui a pris son alternative en 2006 propose, une tauromachie épurée, très rigoureuse, et il parvient à imposer aux taureaux sa volonté. Présent dans toutes les grandes férias, Talavante avait séduit le public biterrois l’année dernière, et sa présence en piste permet d’augurer une prestation de qualité. Bien entendu, il n’y a pas dans ce domaine de garantie absolue, puisque le comportement du taureau détermine finalement les possibilités du maestro d’interagir pour construire la faena. (  La troisième phase du combat où le matador utilise la muleta).

Une passe du répertoire, la manoletina, exécutée par Talavante. En fin de faena, le taureau passe au plus près, dans une trajectoire rectiligne face à un torero immobile

 

Le péruvien Andres Roca Rey est le benjamin de ce cartel. Il a pris son alternative, (la cérémonie qui permet le passage au statut de matadors de toros de plus de quatre ans), à Nîmes en 2015. Il avait alors 18 ans. Il associe la fougue de sa jeunesse à une maîtrise exceptionnelle de toutes les phases du combat. Comme la plupart des toreros sud-américains il est particulièrement attentif aux passes exécutées avec le capote, ( la cape de travail tenue à deux mains, utilisée avant l’entrée des picadors). Son répertoire dans ce domaine est particulièrement varié. À la Véronique, très classique, qui demande beaucoup de douceur d’exécution, face à un taureau en pleine vitesse, à la sortie du toril, Roca Rey peut ajouter des chicuelina, (lorsque le corps s’enveloppe dans la cape, faisant passer le taureau au plus près), et des serpentina, un exercice particulièrement difficile où le capote ondule littéralement, au moment de la charge.

Beaucoup de sérénité chez Andres Roca Rey dans cette exécution de la passe de cape face à un taureau en pleine charge

 

Tout est réuni pour offrir au public une corrida d’exception. Mais dans ce domaine, il faut rester modeste, il n’existe pas véritablement de certitude. Dans les milieux éclairés de la tauromachie, on parle de grande corrida sur le papier. Mais sa grandeur ne se révèle vraiment que sur la piste, et là, parce que la corrida demeure un spectacle vivant, au sens premier du terme, qui associe l’intelligence de l’homme à la nature sauvage, tout peut arriver. Et c’est sans doute la raison essentielle pour laquelle la corrida est un spectacle unique qui ne mérite assurément pas l’indignité des attaques dont il est l’objet périodiquement. La présence du public, plus massive cette année, que l’année dernière, dans les arènes comme dans la ville en fête, est sans doute la meilleure des réponses à ceux qui voudraient remettre en cause cette tradition ancrée dans certaines cités du Midi de la France, et qui s’affiche comme à Béziers, sur le fronton des arènes, « ville de tradition taurine ».

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Bruno Modica

Bruno Modica est agrégé d'Histoire enseignant au lycée Henri IV de Béziers. Passionné de corridas, il intervient souvent aux arènes en tant que photographe taurin et fait profiter Béziers-Infos de sa vaste culture sur le sujet.