La Miurada de toutes les questions

De la longue histoire de la présentation de la ganaderia de Miura à Béziers, il ne faudra certainement pas retenir celle du 15 août 2017. Deux pensionnaires de Zahariche (le lieu d’origine de cet élevage), remplacés, un troisième impropre au combat, et expédié rapidement par Juan Bautista et trois taureaux de réserve utilisés, dont le second a été renvoyé dans les corrales après quelques minutes.

On retiendra pourtant de cette Miurada trois moments forts. Le premier adversaire du torero de Murcie, l’un des spécialistes du combat contre cet élevage, Rafaelillo, s’est comporté parfaitement comme un Miura particulièrement dangereux, cherchant l’homme très rapidement, et se retournant comme un chat. Le maestro de Murcie a livré un combat court mais courageux, et s’il n’a pas obtenu de trophée à son premier taureau, le public a très largement ovationné cette première prestation.

Toute la quintessence du combat contre les Miura dans cette sortie de passe exécutée par Rafaelillo

Alternant avec Rafaelillo, Juan Bautista a très vite tiré le meilleur de son adversaire, lui aussi parfaitement dans le morphotype de cet élevage, avec de larges cornes, et cette longueur qui en fait la caractéristique essentielle. On connaît déjà la rigueur du torero arlésien, son sens de l’engagement, et dans cette confrontation nécessairement courte, tant les toros de Miura apprennent vite les règles du jeu, il a pu servir quatre séries de passes, et après une estocade très engagée, obtenir le premier trophée de l’après-midi.

Avec le deuxième taureau, on pouvait espérer que cet élevage tiendrait toutes ses promesses, et ferait oublier la corrida de la veille, avec ses Victorino Martin particulièrement décevants. Cela n’a pas été le cas hélas, preuve que les corridas, même avec des élevages prestigieux, ne remplissent pas toujours leurs promesses.

Pour le troisième taureau qui accuse une faiblesse majeure au niveau des antérieurs, le président de la corrida, Michel Daudé, sort pour la première fois le foulard vert demandant le remplacement du taureau. C’est donc le quatrième, toujours de l’élevage de Miura qui se présente à la sortie du toril, face à Rafaellillo, qui touche d’ailleurs un bon partenaire. Toujours très investi, engagé au plus près des cornes, le matador de Murcie a livré, comme d’habitude dirait-on, un combat courageux, allant chercher le Miura sur ses deux cornes, y compris la gauche particulièrement dangereuse.  Le torero obtient un trophée largement mérité malgré un premier échec à l’épée.

Le Seigneur aux pieds nus

C’est à partir du quatrième combat de Juan Batista que la situation a commencé à devenir confuse. Un problème de communication entre la présidence et les corrales a très largement entaché le déroulement du combat, le premier torero de remplacement qui a été attribué à Rafaelillo n’a pas transmis de grandes émotions, tandis que le second, attribué à Juan Batista a été, lui aussi, remplacé.

Le dernier taureau de la feria, issu de l’élevage de José Cruz de Salamanque a permis à Juan Bautista de montrer l’immense respect qu’il éprouve pour le public biterrois

Quelque part, c’est le troisième «sobrero », (le terme qui désigne les taureaux de réserve), qui a permis au torero arlésien de se montrer comme un grand seigneur. Face à un spécimen de la ganaderia de José Cruz, de Salamanque, il a voulu offrir au public, avec la générosité qu’on lui connaît, une sorte de spectacle de rattrapage, pour compenser la déception de l’après-midi.

Son combat a été exemplaire, et le taureau présentait de nombreuses qualités. Parfaitement coopératif, il a permis à Juan Bautista de « toréer le public », pieds nus, et exigeant la musique, pourtant une prérogative de la compétence du président de la corrida. Le public l’a évidemment suivi, et la faena très complète, malheureusement conclue par un échec au «recibir », lorsque l’épée portée dans le mouvement de la charge taureau, a enflammé le public. Très logiquement, et malgré un conflit ouvert avec la présidence, Juan Bautista a obtenu sa deuxième oreille de l’après-midi.

Les taureaux de Miura étaient superbement armés, mais seuls trois exemplaires sur six se sont révélés aptes au combat. Une remise en question majeure pour un élevage prestigieux

Il faut avoir l’honnêteté de dire que cette feria 2017 n’a pas été un grand cru. Les élevages pourtant prestigieux, de Nunez del Cuvillo à Miura en passant par Victorino Martin n’ont pas été à la hauteur de leur réputation. Même les Garcia Gimenez du 13 août ne se sont pas montrés exceptionnels. Difficile dans ce cas de faire porter une quelconque responsabilité aux toreros, pas plus que l’organisation de ces spectacles taurins. Les secrets de la corrida se trouvent dans cette sélection patiente à laquelle se consacrent les éleveurs pendant de longues années. Mais la vérité, et la réussite, se trouvent dans ces moments où le savoir des hommes se confronte à la sauvagerie de l’animal. Le taureau de corrida est un animal de combat, et les éleveurs savent que les décisions de croisement qu’ils prennent auront des conséquences sur plusieurs années. Ce qui fait de la corrida un spectacle unique, c’est qu’il n’y a aucune certitude. Il faut savoir l’accepter. Exiger le contraire serait signer à l’arrêt de mort de la tauromachie de tradition espagnole. Au-delà de la perte d’un patrimoine culturel, et des sensations esthétiques extraordinaires qu’il apporte, cela constituerait une atteinte majeure à la biodiversité, et à l’environnement. Il ne faut jamais oublier que les élevages de taureaux de combat sont des conservatoires de nature sauvage, ce que les « animalistes » et autres pseudos écologistes auraient tendance à oublier. En matière de préservation de la nature, un éleveur de taureaux a infiniment plus de mérite qu’un « écolo - bobo » enfermé dans sa bulle de certitudes d’enfant gâté dans un monde pasteurisé.

Bruno Modica

Bruno Modica est agrégé d'Histoire enseignant au lycée Henri IV de Béziers. Passionné de corridas, il intervient souvent aux arènes en tant que photographe taurin et fait profiter Béziers-Infos de sa vaste culture sur le sujet.