La plus vieille taverne de Gaule? Salle à manger avec banquettes adossées au murs ©Fouilles de Lattes – CNRS
Les découvertes archéologiques récentes à Lattes et au large des Aresquiers à Frontignan lèvent un voile sur de nouveaux pans de la culture du vin dans notre région.
Le site de Lattara, au sud de Montpellier, n’en finit pas de livrer des secrets enfouis depuis deux millénaires, et de renouveler notre connaissance du vin antique. Après avoir délivré, en 2013, le plus ancien témoignage d’une viticulture indigène en dehors d’une colonie phocéenne, datée du IIIe siècle avant notre ère, la ville portuaire fait l’objet, intra muros, d’une nouvelle découverte d’importance. Un établissement daté entre 125 et 75 av. J.-C. est décrit par Gael Piquès (CNRS,ASM) et Benjamin Luley (Gettysburg College, USA). Taverne ou auberge, il s’agit pour l’heure du plus ancien établissement public de ce type attesté en Gaule. A un carrefour de rues, deux corps de bâtiments, dont l’un abrite une cuisine avec trois fours et des supports de meules, surgissent de terre. Les archéologues pensent avoir trouvé une boulangerie. Mais très vite, deux salles contiguës, dont la mieux conservée disposait de banquettes en terre, agencées en fer à cheval autour d’un foyer, sont dégagées. La céramique trouvée (vases à boire, plats, quelques amphores et pièces de monnaie marseillaise), mais aussi une fosse emplie de déchets alimentaires et de restes de viande, en "quantités trop importantes pour correspondre à une consommation privée", pour Gaël Piquès, laissent penser à un établissement dédié, entre autres à la restauration.
Voilà qui donne un nouvel éclairage sur les Gaulois, initiés au goût du vin par les phocéens et les étrusques, dont nous connaissions depuis les textes antiques de Justin ou Diodore de Sicile « un fort penchant pour cette boisson nouvelle ». Eux-mêmes devenus viticulteurs avant l’arrivée des romains, les voici, ralliés aux mœurs latines et installés dans une tabernae. L’établissement date en effet de la construction de la province Narbonnaise, dans laquelle le port de Lattara développe des échanges commerciaux avec Rome, la Grèce et l’Espagne voisine. Importé du modèle romain, la taverne révèle le rôle « civilisateur » du vin dans la conquête de l’actuel sud de la France. Les fouilles opérées sur le site depuis cinquante ans, devenues internationales, font de Lattara, ce lieu magique, un site patrimonial majeur.
relevé sous-marin, DRASSM © Christine Durand
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Nous sommes moins familiers des fouilles archéologiques sous-marines, qui se déroulent pourtant à quelques encablures de notre littoral. Au large des Aresquiers, la DRASSM a confié à la Section de recherches archéologiques de Frontignan la fouille d’épaves du passé post-industriel. Le sondage dans l’été 2015 d’une nouvelle pièce a donné lieu à « une magnifique fouille » selon archéologue maritime Laurence Serra. Venue présenter à Frontignan l’état des recherches auprès des Amis du Musée, elle expose l’hypothèse à vérifier du naufrage en 1856 d’un navire chargé de soufre en provenance de Sicile, le Saint-Stanislas. Les prises de mesures, coupes et dessins effectués sous l’eau, se font en permanence en binôme, dans des conditions de plongée difficiles, le sable aspiré retombant sans cesse. L’épave, de 22 mètres de long, gît à environ deux cents mètres du bord. Bien protégée, car entourée d’un limon gris très compact, le navire a conservé ses courbures. Dans ses cales, une cargaison légère de soufre, bois et douelles de tonneaux, était lestée de briques. Une fois les plongeurs remontés, commence le travail post-fouilles : analyse des bois, de la structure du navire, du soufre qu’il contient, recoupements avec les cartes et documents d’époque. De multiples disciplines se croisent, « l’archéologie, c’est une communion de compétences » commente la chercheuse. Après analyses, la preuve formelle qu’il s’agit du Saint-Stanislas, et que le soufre provenait de Sicile, n’est pas établie. Un prochain sondage dans l’été viendra affiner les données.
L’épave fait ressurgir le passé viticole local, à une époque où l’oïdium, champignon microscopique, ravageait le vignoble français. Un passé intimement lié, à Frontignan, au soufre. Plusieurs lettres d’un regroupement de viticulteurs écrivant, entre 1854 et 1858, au Ministre de l’Agriculture, déposées aux Archives de l’Hérault, font écho au difficile cheminement d’une idée, émise par Henri Marès, ingénieur et viticulteur lui-même, traiter l’oïdium au soufre. Ses efforts pour convaincre les grandes régions viticoles des bienfaits de la méthode, lui vaudront, une fois son efficacité établie, la reconnaissance de tous. Dès lors, s’ouvre un intense commerce maritime. Déposé en vrac sur le port de Sète, le soufre, provenant des volcans d’Italie, est concassé à même le quai, puis acheté par les vignerons locaux. La construction de deux usines fin XIXe siècle à Frontignan et à La Peyrade organise et encadre ce commerce lucratif, dont l’épave échouée aux Aresquiers nous rappelle les risques.
La vigne, omniprésente dans nos paysages, le vin, omniprésent dans notre économie se ressourcent, au gré des découvertes archéologiques et historiques, à leurs racines et leur culture passées, qui en rappellent à la fois l’ancienneté et la vitalité.
Florence Monferran
Restes de trois fours ©Fouilles de Lattes – CNRS