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Le scandale électoral de Montagnac

De tous les départements français, celui de l’Hérault est le plus tristement célèbre par les scandales électoraux. Toute une section du Conseil d’Etat est occupée chaque année pendant plusieurs mois, à examiner les opérations fantaisistes des commissions chargées de la révision des listes électorales et les jugements parfois stupéfiants rendus par les juges de paix. Il s’est produit dimanche à Montagnac le fait le plus violent et le plus révolutionnaire que l’on puisse imaginer et cela sous un ministère qui se dit modéré et respectueux du suffrage universel. Lors des élections du 3 mai, la minorité se voyant en face d’un bureau décidé à faire respecter la loi, a tenté un coup de force qui a réussi, elle a provoqué une émeute et déchiré les listes d’émargement. Il a donc fallu recommencer l’élection dimanche dernier. Instruit par l’expérience, l’énergique président du bureau de vote, M. Jean de Puységur avait pris toutes les mesures pour déjouer une seconde tentative criminelle. Mais une nouvelle fois, nos tristes personnages s’affermirent dans la résolution de faire un nouveau coup. Ce coup ils l’ont tenté et on a vu le triste spectacle de deux républicains, désigné par leurs amis et agréés par le bureau pour surveiller les opérations électorales, les sieurs Guiraud et Journet, se jetant tout à coup sur la liste d’émargement, au milieu du calme général et s’efforçant de la déchirer. Les gendarmes durent mettre la main au collet de ces singuliers surveillants et serrer le cou de l’un d’eux pour l’empêcher d’avaler un morceau de la liste qu’il venait de lacérer. Un moment d’effervescence succéda à cet acte odieux. Mais le capitaine de gendarmerie commandant les 30 gendarmes appelés à maintenir l’ordre, le firent loyalement et le calme se rétablit. M. le Sous préfet paraissait très effrayé pour l’ordre public, mais s’il y avait une grande effervescence à 14 heures, quand on apprit l’acte inqualifiable commis par les sieurs Guiraud et Journet, l’ordre s’était facilement rétabli sur la déclaration que l’élection continuait

C’est alors que la manœuvre aboutit à son terme prévu par l’intervention préfectorale, le sous-préfet de Béziers M. Belleudy accompagné de 50 chasseurs à cheval et du procureur de la République appelé à constater le délit commis par les avaleurs de listes d’émargement partit pour Montagnac et se présenta dans la salle de vote, il était 17h55 minutes, moins dix s’il faut en croire la montre du sous-préfet réglée parait-il sur l’heure nationale !

Alors que l’élection était terminée, que tout était calme dans la salle de vote, que la liste d’émargement avait pu être reconstituée après le criminel attentat des surveillants républicains, et qu’il ne restait plus qu’à opérer le dépouillement, le sous-préfet de Béziers, pénétrant dans la salle revêtu de son écharpe, a sommé le président du bureau d’arrêter les opérations électorales et devant le refus et les protestations du maire, il a donné l’ordre à un commissaire de police de sceller l’urne. Le maire a refusé le sceau de la mairie pour cette opération. Le commissaire s’est emparé de l’urne, l’a scellée et le sous-préfet a donné l’ordre au gendarme de la garder et de faire évacuer la salle.

                          Salle de vote au XIXème siècle                                   Salle de vote au XIXème siècle

 

Voilà ce qui s’est passé à Montagnac à sept heures du soir. Le sous-préfet ceint de son écharpe, invoquant des instructions a violé un bureau électoral. Nous savons que le président du bureau a le soir même, en quittant la salle d’où l’on venait de le faire sortir, adressé une plainte au Procureur de la République contre le sous-préfet de Béziers pour avoir violé contre lui l’art. 11 du décret réglementaire du 2 février 1852. « Le président du collège a seul la police de l’assemblée», et pour avoir ainsi troublé les opérations électorales, enlevé l’urne contenant les suffrages émis et non encore dépouillés, le fait tombe sous le coup de l’art. 46 du décret organique du 2 février 1852. Nous verrons la suite que donnera l’administration judiciaire à cette plainte portée par un président de bureau électoral troublé dans l’exercice de ses fonctions par un agent administratif.

Femmes réclamant le droit de vote

Monsieur le procureur de la République était présent à Montagnac, mais il a pénétré dans la salle de vote que parce que le sous-préfet lui déclarait que l’élection était terminée et le président a profité de sa présence pour le prendre à témoin de ses protestations contre l’acte du sous-préfet. C’est un acte de pure anarchie. Et cela sous le prétexte de troubles dus à sa seule présence. Il faut absolument, s’il existe encore en France une organisation administrative quelconque, que le sous préfet de Béziers rende compte à la justice régulièrement saisie, de son acte injustifiable. Il faut que le préfet de l’Hérault, son chef hiérarchique soit mis en demeure d’expliquer son incroyable conduite. Quant à l’urne de Montagnac, qui se promène on ne sait où avec son sceau de fantaisie, il faut qu’elle soit régulièrement vidée. Chères lectrices, lecteurs, ne demandez pas à votre voisin s’il est au courant de quelque chose, tous commentaires rapportés lors d’élections récentes, ne seraient que pure coïncidence, ces faits se sont produits le 31 mai 1896.

Bernard Bals