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L'avenir de nos terroirs

« Quelle agriculture pour demain ? » s’interrogeait un café citoyen à Mauguio début mars. La COP 21, le Salon international de l’Agriculture à Paris, la 11e Semaine mondiale pour des alternatives aux pesticides, du 20 au 30 mars, fournissent autant d’occasions de réfléchir, débattre, alerter, sur l’état et le devenir de la production agricole, encore massivement viticole autour de Montpellier et dans l’Hérault. Acteurs économiques - producteurs, groupes agroalimentaires, distributeurs -, acteurs politiques, du gouvernement aux pouvoirs locaux et aux partis, consommateurs, nous voilà tous concernés. Chacun fait entendre sa voix, parfois avec véhémence, ou pèse de son silence sur le débat. Le consommateur qui veut manger sain, mais hésite à payer un surcoût, l’élu qui défend un périmètre agricole pour nourrir sa métropole, mais fait face à une pression foncière grandissante, le vigneron qui livre son vin en gare St Roch à Montpellier, Ségolène Royal venue à Escale à Sète s’engager contre les pesticides? C’est un premier pas. Un nombre grandissant de courants s’accorde sur l’urgence à passer de la parole aux actes. Alors oui, quelle agriculture, quelle viticulture voulez-vous pour demain? La réponse n’est pas seulement économique, politique, environnementale ou philosophique, elle est aussi citoyenne.

 

Pesticides : des chiffres contre des idées reçues

  • Une consommation de pesticides en hausse: +5,8 % entre 2011 et 2014, + 9,4 % entre 2013 et 2014, faisant de la France le 2e utilisateur en Europe, après l’Espagne.
  • 3/4 des principales cultures alimentaires dépendent des pollinisateurs, victimes des pesticides.
  • Plan Ecophyto, de réduction de moitié des herbicides, lancé en 2009 : a échoué. Repoussé de dix ans en Octobre 2015, objectif 2025
  • Nous portons tous de traces de pesticides sur nous, selon l’Institut de veille sanitaire.
  • Néonicotinoïdes: pesticides tueurs d’abeilles. Le Ministre Le Foll reconnaît leur toxicité, mais aucun chiffre n’est disponible sur les quantités utilisées en France.
  • Le coût des pesticides: l’étude de deux chercheurs de l’INRA, Thomas Guillemaud et  le Montpelliérain Denis Bourguet, chercheur au Centre de biologie pour la gestion des populations (INRA, Cirad, IRD, SupAgro Montpellier) sur les années 1990 aux Etats-Unis, publiée dans Sustainable Agriculture Reviews chiffre à  27 milliards de dollars par an les gains et 40 milliards de dollars les coûts. Parmi eux, les couts économiques sont d’ordinaire peu évalués ou sous-estimés, comme la perte de productivité par usure des sols, ou la résistance aux pesticides. S’y ajoutent des coûts sanitaires (frais médicaux, maladies chroniques, ) environnementaux (pollinisation) réglementaires  (contrôles, dépollutions) et d’évitement (surcoûts de consommation  bio).

L’agroécologie 
« La pratique agricole ne doit pas se cantonner à une technique, mais envisager l’ensemble du milieu dans lequel elle s’inscrit avec une véritable écologie » écrivent Jacques Caplat, agronome, et Pierre Rahbi Le Monde du 15 mars. Cette pratique alternative vise, entre autre, à utiliser les interactions entre écosystèmes, cultures associées, insectes prédateurs auxiliaires, plutôt que des intrants chimiques. Elle refertilise les sols, lutte contre la désertification en visant à « réinvestir les campagnes », préserve la biodiversité - dont les semences-, et optimise l’usage de l’eau. Elle se présente comme « une alternative peu coûteuse », pour une agriculture de qualité, dont les rendements sont désormais aussi bons que ceux de l’agriculture conventionnelle. L’agroécologie prône les circuits courts, court-circuit de la logique des grands groupes et des grandes surfaces. « L’agroécologie est … un humanisme véritable » selon ses penseurs.

   

Des questions et des chiffres

Qui nous nourrira demain? Les agriculteurs disparaissent, qui travaillent pour une rémunération de misère, leur prix de vente étant inférieur au prix de revient, et font figure de premières victimes des pesticides qu’ils épandent.
Comment faire face à l’augmentation de la population mondiale ?
Les fermes de mille vaches dans le nord de l’Europe, ou plus vastes encore en Chine sont-elles la solution ? Les vieux démons resurgissent, avec un cas avéré de vache folle en France le 24 mars.
Sur quelles terres? Si elles n’ont plus de valeur dans le centre de la France, elles en ont trop  en zones péri-urbaines dans le Sud. Et la terre s’épuise à nous donner ses fruits. Les agronomes Lydia et Claude Bourguignon nous alertent depuis trente ans sur l’érosion des sols, sur lesquels nous ne pourrons plus cultiver. Notre système d’exploitation arrive en bout de course.
Quels effets de nos modes de production sur la santé et l’environnement ?
Le risque sur la santé est triple: cancérogène, mutagène (toxicité pour l’ADN), endocrinien, sur la fertilité, le fœtus et l’enfant, selon les travaux du professeur Charles Sultan à Montpellier. On s’interroge sur un effet cocktail, multiplicateur, entre différentes substances.
Les alertes des chercheurs sur les altérations climatiques, sur la raréfaction de l’eau pour les productions, largement évoquées à la COP 21 à Paris, ne se sont pas traduites en actes. La semaine pour les alternatives aux pesticides met en lumière la présence de résidus dans notre eau potable, touchant 400 000 habitants dans l’Hérault selon une enquête de Midi Libre. Après la bataille contre les pesticides « tueurs d’abeilles » à l’Assemblée Nationale, celle autour du glyphosate va se porter à la commission européenne à Bruxelles. Pollution de l’air, de l’eau, des sols, les signaux se multiplient pour nous engager à changer de pratiques.
Et l’idée gagne du terrain … agricole. Les surfaces en culture biologique progressent, + 17 % en 2015, et couvrent 1,5 million d’hectares. 24 000 ha de vignes sont convertis en Languedoc-Roussillon, champion de la viticulture biologique (30 % de la production nationale). 65% des Français ont consommé régulièrement des produits bios en 2015, contre 37 % en 2003.
Des alternatives sont pensées à tous les niveaux. Sudvinbio  accompagne les viticulteurs dans leur conversion et leur adaptation à de nouvelles pratiques. Le concept d’agroécologie entre dans les esprits. Il est inscrit depuis Octobre 2014 dans la loi d’avenir de l’agriculture. Le Ministre, Stéphane Le Foll veut maintenant en introduire des principes dans les cahiers des charges de l’INAO, qui délivre AOP, IGP et labels rouges, sur la base de changements « qui ne peuvent être instantanés, mais progressifs ».
Les pouvoirs locaux ne sont pas en reste. Au 3e Parlement des territoires à Castries, 110 élus de huit départements s’engagent à poursuivre leur démarche de coopération territoriale entre monde rural, urbain et périurbain (…) « à défendre conjointement la production locale viti-vinicole »
Montpellier Méditerranée Métropole, qui intègre une commission à l’agroécologie, s’est engagée dans une réflexion pour la sauvegarde de terres agricoles en zone péri-urbaine. La question agite nos territoires, du pays de l’Or au pays de Thau. De Mauguio, Castries à Montbazin, des collectifs  sensibilisent, invitent à des actions.  Les initiatives locales ne manquent pas d’imagination pour mettre sur pied des circuits courts (marchés, paniers, boutiques) afin de privilégier les productions de proximité et minimiser les transports. En toile de fond, ce sont de nouvelles solidarités que portent ces expériences locales. Le Village des possibles à Montpellier fin mars en est l’illustration.
Le tableau s’assombrit quand le Ministre Stéphane Le Foll lui-même écrit aux députés pour ne pas procéder à l’interdiction brutale des néonicotinoïdes, qui sont finalement disponibles jusqu’en 2018, ou que les échéances des programmes Ecophyto sont repoussées de dix ans. Les déclarations d’intentions ne suffisent plus. Le Président de la Fabrique citoyenne à Mauguio, Daniel Bourguet, résume : « Il y a du pain sur la planche, mais plus que parler, il faut maintenant agir ». N’est-ce pas ce qu’est venue dire la Ministre de l’environnement à Sète ?

Florence Monferran